Ofelia Bright

C’est le 14 Décembre 1990 que tu es née. La fraîcheur de la nuit d’hiver n’atteignait pas ta mère qui était en contraction dans l’hôpital de Toronto. Tu étais leur première, celle qu’ils attendaient depuis si longtemps, ce petit couple heureux composé de deux pères et d’une mère biologique. A peine avais-tu prononcé tes premiers cris que l’on te retira de ta mère. Tu ne lui étais pas destinée.

Cette naissance ne fut pas la première. Deux autres frères, des jumeaux, rejoignirent la maison alors que tu avais dix ans. Toi qui commençai à savoir lire et écrire et qui étais heureuse d’avoir tes deux papas ainsi que ton petit chien, tu devais maintenant partager ta demeure avec tes « frères ». Au départ tu eus mal à l’idée que tu ne serais plus seule mais lorsque tes prunelles d’enfant se posèrent sur ces petits visages, tu compris que les choses avaient changé, en mieux.

Tes pères furent rapidement dépassés par les évènements et tu t’improvisas en « maman enfant » du mieux que tu le pus, prenant ainsi plus de maturité que les autres enfants de ton âge. Indubitablement, cette envie de grandir trop vite eut des répercussions lors de l’adolescence. Alors que les autres ne songeaient qu’à jouer à leur jeux vidéos ou à vivre leur vie de gamins, tes papas t’en imposèrent toujours autant car tu étais devenue indispensable à leurs yeux. Si tes frères comptaient sur toi comme si tu étais leur propre mère, ton jeune âge te rattrapa et la crise également.

Un soir, alors que tu n’en pouvais plus, tu t’enfermas dans ta chambre, laissant tes frères pleurer seuls et tu te mis en tête que tu devais partir d’ici. Alors tu commenças tes recherches. Tu souhaitais retrouver ta mère biologique et quitter cette famille qui te pesait désormais. Après le lycée, tu te rendais à l’hôpital dans l’espoir d’avoir des informations mais personne ne put jamais te renseigner. Tu fuguas, plusieurs fois, avant que finalement tes papas se rendent compte que quelque chose n’allait pas.
Après une longue conversation, ils acceptèrent finalement de te donner des informations sur ta génitrice, te mettant en garde qu’elle avait demandé à ne pas être retrouvée. Un pacte fut scellé entre vous trois. Ils accepteraient que tu ailles voir ta mère et que tu la rencontres une fois que tu aurais passé tes dix-huit ans et t’accueilleraient si tu voulais retourner chez eux.

Alors, en finissant le lycée, tu n’avais encore aucune idée de l’avenir et de ce que tu voulais faire plus tard et tu t’orientais sur des matières basiques, simples et faciles mais tu n’avais qu’un seul rêve en tête : revoir ta mère. Le lendemain de ton anniversaire, tu pris ta voiture, abandonna la fac pour quelques jours et pris la route pour Montréal. Ta mère avait déménagé là-bas avais-tu appris.
Il ne fut pas difficile de trouver la maison, reconnaître la femme qui t’avais mise au monde fut plus compliqué. Même si tu l’avais connue enfant, tu ne l’aurais reconnue. Ses cheveux étaient tous tombés malgré son jeune âge, ses joues étaient creusées, elle est fine, trop fine et elle « végétait » là sur un fauteuil, reliée à des poches. Son regard était triste. Elle semblait seule, abandonnée.
Tu restais quelques instants, interdite, en face de cette dame qui, dix-huit ans avant te donnait la vie. Elle te reconnut presque immédiatement et un faible sourire prit ses lèvres alors qu’elle tendait une main que tu ne pus saisir. Tu reculas de quelques pas et t’enfuies, rentra chez toi.
Quelques jours plus tard, un appel t’annonça que ta mère biologique était morte, le cancer, seule chez elle. Ce fut le déclic. Personne ne devrait avoir une fin si triste, même si tu n’avais aucun lien affectif avec elle.

Tu commenças alors des études de médecine mais tu avais toujours été une élève moyenne et avec ta vie familiale à côté, ce fut trop compliqué, et tu abandonnas mais ton rêve restait en esprit et tu te formas à devenir infirmière.

Si lors de tes années de lycée tu avais côtoyée pas mal d’hommes, tu te rendis rapidement compte que le milieu infirmier était plutôt féminin. Lors d’une garde, une infirmière t’embrassa « pour rigoler ». Cela te brisa le cœur. Ce jour-là, tu compris que tu étais plus qu’une homosexuelle et qu’en fait, ce geste anodin avait réveillé d’autres pulsions en toi.
Cependant, après quelques « déviances » qui plurent à tes pères, tu revins à ton « premier amour » alors que tu rencontrais la personne qui partage aujourd’hui ta vie. Chirurgien, tu te souviens l’avoir un peu agressé lors de ta pause déjeunée alors que tu avais remarqué qu’il avait fait tomber un papier et ne l’avais pas jeté.
Il avait aimé ton audace et t’avais alors plusieurs fois proposé un dîner que tu avais décliné de nombreuses fois, prétextant qu’il était ton collègue. Finalement, tu avais accepté.

Malheureusement, un an après votre rencontre, tu avais eu le droit à une « seconde naissance ». Tu te découvris des dons que tu gardas pour toi, certaine que son esprit rationnel ne pourrait encaisser le choc.
Cela fait maintenant 2 ans que tu es totalement réveillée et que tu gardes pour toi les autres personnes qui partagent votre quotidien. Tu aimes ton cluster autant que ta propre famille ou que ton fiancé mais tu as encore du mal à oser parler de ton don.