Marisa Perez - I've never met anyone who wasn't important

Marisa, sa vie, c’est une histoire normale, comme elle le dit si souvent. C’est une enfance dans la campagne argentine, là où tout le monde connaît tout le monde, là où la vie n’est pas facile, mais pas terrible non plus. Elle est née dans une famille assez nombreuse, cinq gamins, mais c’était elle l’aînée. C’était elle qui défendait ses petits frères et sœurs quand ils étaient jeunes, quand ils allaient à l’école dans le village voisin.
Un truc auquel leur mère tenait. Elle voulait qu’ils aient une éducation, une belle vie, le père grommelait qu’il aurait préféré les garder à la ferme. Ça faisait toujours de la main d’œuvre. L’école n’empêchait pas les jeunes d’aider bien sûr, quand ils rentraient ou avant de partir, un peu.
Là-bas Marisa tomba amoureuse d’apprendre. Elle tomba amoureuse de l’égalité que ça créait, parce que quand elle connaissait ses tables de multiplication et pouvait les réciter plus vite que quiconque, aucun garçon ne pouvait lui dire qu’elle était bête parce qu’elle était une fille. Et quand ils essayaient de la mater… elle n’était pas seule. Les frères et sœurs qu’elle défendait étaient derrière elle. Mais même sans eux, elle ne se laissait jamais faire.
C’est peut-être pour ça que sa mère l’envoya chez sa tante. Elle lui dit que c’était pour aller dans une meilleure école, apprendre plus, parce qu’à la ville tout était plus facile et accessible, et c’est vrai, c’était une chance unique. Mais parfois, dans sa tête d’enfant, de pré-adolescente, elle se disait que son père et sa mère en avaient peut-être juste marre de la voir revenir avec des bleus. En grandissant elle se rend compte que ça a peut-être à voir avec la crise dont elle entendait souvent les adultes parler.
Au final, sur le long terme, ce n’était pas si important.

Lorsqu’elle arriva à Buenos Aires elle fit la connaissance d’un tas de gens. Sa tante et son mari, leurs voisins et les voisins de leurs voisins. Leur immeuble c’était comme une grande communauté, un village dans la ville. Il y a quoi ? Un marteau pour dix personnes ? C’est plus facile comme ça au final. C’est bien. On ne se sent jamais seul, il y a toujours des gens qui passent. Ce n’est pas toujours parfait. On ne se sent jamais seul.
Heureusement elle a sa meilleure amie, et avec elle, elle n’est jamais seule non plus, mais ça ne la dérange pas autant une fois dans l’adolescence.
Le regard de Marisa sur le monde change et évolue. Elle devient plus aigrie, plus blasée, plus véhémente. Sa façon de penser se radicalise quand elle réalise que les bleus sur la peau de sa voisine ne sont pas des accidents, quand elle surprend la fille deux étages plus bas en train de pleurer à cause de son frère qui lui rend visite la nuit, quand dans la rue d’à côté une femme est condamnée à mort pour s’être défendue de son mari violent.
Elle déteste les hommes et le gouvernement à cette époque et s’engage dans la lutte pour les droits des femmes. Pour ceux de sa mère, de sa tante, de sa meilleure amie. Pour ses droits. Elle rêve de faire changer le monde et change son monde pour ça. Elle apprend ce qu’il faut pour lutter, elle apprend les discours, les mots et les gestes violents.
Mais ça ne dure pas. Quand son frère arrive en ville avec elle, elle apprend que les hommes sont parfois aussi des victimes. Elle s’adoucit, pour lui, pour elle-même. Sa vie reprend comme avant, plus calme, et elle se concentre sur ses études. Elle changera le monde dans une rébellion différente, comme elle le faisait enfant. En étant la meilleure.

Elle entre en études supérieures et fait une école de médecine. Souvent on lui demande si elle veut devenir infirmière. Mais non. Elle veut devenir médecin, chirurgienne même pour montrer l’exemple, que les femmes aussi peuvent faire de grandes choses et sauver des vies.
Ce n’est pas toujours facile mais elle prend le temps d’y arriver. Les années s’enchaînent rapidement. Les études, le boulot, les amis, la meilleure amie, la famille, les partenaires intimes.
Elle n’a pas le temps de voir les années passer qu’elle obtient sa résidence dans l’hôpital où elle a été formée.
Elle se promet que bientôt elle retournera aider dans sa campagne natale, mais elle repousse à chaque fois son retour. Quelque chose semble la retenir, la faire hésiter. Elle se dit qu’elle aime trop cette ville pour vraiment l’abandonner, qu’il y a trop de gens à aider ici pour partir comme ça.
Mais elle sait aussi que ce n’est pas que ça.